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En transit

 

Utaltifuhl, le Grand Zamerin de Sursamen-Nariscene, chargé de veiller sur l’ensemble des intérêts des Nariscenes sur la planète ainsi que dans son système solaire, et qui, par conséquent – conformément aux termes du mandat détenu par les Nariscenes sous les auspices du Conseil Général Galactique –, était ce qui se rapprochait le plus d’un dirigeant absolu dans les deux secteurs, commençait tout juste le long voyage qui l’amènerait à la 3 044e Grande Ponte de la Reine Éternelle sur la lointaine planète d’origine de son espèce lorsqu’il croisa la directrice générale de la Mission Stratégique de Morthanveld au sein de l’Épine Hulienne Tertiaire – qui effectuait une visite de courtoisie dans la modeste, mais bien sûr très influente ambassade de Morthanveld sur Sursamen – dans le Troisième Terminal Équatorial de Transit, loin au-dessus de la sombre Surface grêlée de vert de Sursamen.

Les Nariscenes étaient insectiles ; le Zamerin possédait six membres et une carapace de kératine. Son corps foncé, articulé en cinq segments et mesurant un peu moins de cent cinquante centimètres de long (sans compter les antennes, et une fois les mandibules rétractées), était incrusté de gemmes implantées, de veinules de métal précieux, d’adjonctions sensorielles, de multiples holoprojecteurs affichant les nombreuses médailles, distinctions et décorations qu’il avait accumulées au fil des années, et d’une variété d’armes légères dont la plupart jouaient un simple rôle de cérémonie.

Le Grand Zamerin était accompagné d’un essaim de congénères, tous vêtus d’une façon un peu moins impressionnante et plus petits que lui. De plus, ils étaient, si c’est bien le mot qui convient, des neutres. Ils avaient tendance à se déplacer au travers des fibres tendues dans l’espace caverneux du terminal de transit en formant une sorte de flèche, dont la pointe était le Grand Zamerin.

Les Morthanveldes appartenaient à une espèce aquatique spiniforme. La directrice générale était une sphère d’un mètre de diamètre à l’aspect laiteux, hérissée de centaines d’épines de différentes grosseurs et de diverses couleurs pastel largement réparties à travers le spectre. Pour l’instant, la plupart de ses épines étaient enroulées ou rabattues en arrière, ce qui lui donnait un aspect compact et aérodynamique. Elle transportait son propre environnement dans une enveloppe scintillante de membranes et de champs bleu argenté contenant son échantillonnage de fluides océaniques. Quelques petits torques, bracelets et anneaux entouraient ses épines. Elle était accompagnée d’un trio d’assistants plus solidement bâtis qui transportaient un tel équipement qu’on eût dit qu’ils étaient en armure.

Le terminal de transit était un environnement à microgravité et sous faible pression, dans une atmosphère d’oxygène et d’azote maintenue à une température agréable. Son écheveau de fibres de maintien vital était codé par couleur, odeur, texture et divers autres marqueurs permettant à ceux qui pourraient en avoir besoin de les identifier facilement. Il suffisait de repérer dans cet immense filet le filament approprié et de s’y attacher pour recevoir ce dont on avait besoin pour survivre : oxygène, chlore, eau salée ou autre chose encore. Le système ne pouvait satisfaire toutes les formes de vie connues sans exiger d’elles le port d’un masque ou d’une combinaison de protection, mais c’était le meilleur compromis que les constructeurs nariscenes aient accepté de mettre en place.

— DG Shoum ! Ma bonne amie ! Je suis heureux qu’il ait été possible à nos chemins de se croiser !

Le langage du Grand Zamerin consistait en cliquètements de mandibules et, à l’occasion, de projections de phéromones. La directrice générale comprenait assez bien le nariscene sans devoir recourir à des aides artificielles, mais elle se référait quand même à un anneau de traduction neurologiquement câblé pour être certaine de ce qui se disait. Pour sa part, le Grand Zamerin, comme la plupart des Nariscenes, évitait les langages aliènes à la fois par principe et par commodité, et se reposait donc entièrement sur ses propres modules de traduction pour comprendre la réponse de la directrice générale.

— Grand Zamerin, c’est toujours un plaisir.

Ils échangèrent cérémonieusement quelques jets de parfum et de molécules d’eau que les membres de leurs entourages respectifs recueillirent soigneusement, autant par politesse qu’à des fins d’archivage.

— Utli, dit la Directrice Générale Shoum en revenant au style informel et en flottant près du Nariscene.

Elle tendit une épine multiple, que le Grand Zamerin saisit avec sa jambe antérieure en faisant cliqueter ses mandibules de plaisir. Il tourna la tête et dit à ses assistants :

— Allez jouer ailleurs, les enfants.

Il projeta vers eux un petit nuage de son parfum personnel, un mélange signifiant affection et réconfort. Une onde colorée parcourut les épines de Shoum tandis qu’elle donnait une instruction similaire à son escorte. Elle ajusta son torque de communication sur le mode intime, avec toutefois une veille d’interruption de niveau moyen.

Les deux administrateurs s’éloignèrent en flottant lentement à travers le réseau de fibres environnementales, vers une immense fenêtre circulaire qui donnait sur la Surface de la planète.

— Vous vous portez bien ? demanda Shoum.

— Extraordinairement bien ! répondit le Grand Zamerin. Nous sommes rempli de joie d’être invité à assister à la Grande Ponte de notre chère Reine Éternelle.

— Comme c’est merveilleux. Êtes-vous en lice pour les droits d’accouplement ?

— Nous ? Moi ? Entrer en lice pour l’accouplement ? (Les mandibules du Grand Zamerin cliquetèrent si rapidement qu’elles en bourdonnaient presque, indiquant l’hilarité.) Non, pour rien au monde ! L’exigence de spécification… (oups/désolé ! signala le traducteur, qui se dépêcha de reprendre le fil)… la palette génotypale exigée par le Collège Impérial de Procréation était bien en dehors de notre propre inclination. Je ne crois pas que notre famille ait même soumis une offre. Et de toute façon, le préavis a été cette fois-ci très généreux : si nous avions voulu participer, nous aurions produit tout spécialement un beau spécimen bien baraqué pour notre chère Reine. Non, non ; tout l’honneur réside dans le fait de pouvoir y assister.

— Et l’heureux père meurt, à ce que je comprends.

— Oui, bien sûr ! Alors là, on peut vraiment parler d’un grand honneur.

Ils approchaient d’un immense hublot placé dans la partie inférieure du terminal, permettant de voir Sursamen dans toute sa sombre splendeur. Le Grand Zamerin dressa ses antennes, comme éperdu d’admiration devant cette vue, ce qui n’était pas le cas.

— Nous avions une telle prééminence, autrefois, poursuivit-il. (Et le traducteur, sinon les propres processus de Shoum, détecta une note de tristesse mêlée à la fierté. Utli indiqua l’une de ses petites holobabioles.) Vous voyez, celle-ci ? Elle indique que notre famille a fourni un Géniteur d’espèce au cours des trente-six dernières générations. Mais c’était il y a précisément trente-six générations, et à moins d’un miracle, je crains bien de perdre cette décoration dans l’année standard qui vient, quand la nouvelle génération va éclore.

— Vous pouvez encore espérer.

— L’espoir est tout ce qui me reste. Le cours du temps s’écarte de la façon d’être de ma famille. Nous sommes à contrevent. D’autres parfums submergent les nôtres.

Le traducteur signala une analogie imparfaite.

— Et vous êtes obligé d’y assister ?

La tête d’Utli exprima l’équivalent d’un haussement d’épaules.

— En principe. Refuser l’invitation est passible de la peine de mort, mais c’est uniquement pour la forme, en fait. (Il s’interrompit un instant.) Ce n’est pas qu’elle ne soit jamais appliquée, elle l’a déjà été. Mais dans de telles occasions, c’est généralement un prétexte. Les intrigues de la Cour, parfaitement horribles.

Le Grand Zamerin éclata de rire.

— Vous pensez vous absenter longtemps ? demanda Shoum alors qu’ils atteignaient l’immense fenêtre.

— Une année standard, à peu près. Il vaut mieux rester quelque temps à la Cour, au cas où ils oublieraient qui nous sommes. Pour permettre au parfum de la famille de les imprégner un peu, vous voyez ? Prendre aussi quelques jours de vacances pour revoir les vieux terriers familiaux. Quelques limites de voisinage à redéfinir. Peut-être même un parvenu ou deux à combattre et à dévorer.

— C’est un programme qui semble intéressant.

— Parfaitement assommant ! C’est bien parce que cette affaire de Ponte nous oblige à y retourner.

— J’imagine que c’est une expérience unique dans une vie.

— Et c’est la dernière pour le père ! Ha ! Ha !

— Ma foi, on va vous regretter, j’en suis sûre.

— Moi aussi. Pendant notre absence, les affaires seront gérées par des parents à moi, le clan Girgetioni, qui sont mornement compétents. Je le dis car cela pourrait les flatter. Ma famille a toujours été convaincue que s’il est absolument nécessaire d’abandonner un moment ses responsabilités, il faut toujours trouver des remplaçants tels qu’à votre retour, vous soyez accueilli avec un enthousiasme sincère. Ha ! Ha ! (Les tiges oculaires d’Utli s’agitèrent comme sous une forte brise, exprimant l’humour.) Mais je plaisante. Le clan Girgetioni fait honneur à l’espèce nariscene. J’ai personnellement confié au moins incompétent de mes neveux le poste de Zamerin intérimaire. J’ai la plus grande confiance en lui ainsi que dans les autres.

— Et comment vont les affaires ? demanda Shoum. Je veux dire dans Sursamen ?

— Elles sont calmes.

— Simplement « calmes » ? demanda Shoum amusée.

— D’une façon générale. Pas un couinement, pas une seule molécule depuis des siècles de la part du Dieu-monstre installé dans la cave.

— Toujours rassurant.

— Toujours rassurant, acquiesça Utli. Ah, bien sûr, l’effroyable saga des débats du Comité pour l’Utilisation Future du Troisième Niveau continue de se dérouler telle une toile de fond cosmique, même si elle pourrait bien être un jour balayée par quelque cataclysme ou Grand Événement Concluant… encore que le comité en question semble capable d’aller bien au-delà, et même de redéfinir le terme « À Perpétuité » pour les entités qui auront l’infortune d’être encore présentes à ce moment-là. (La forme du corps du Grand Zamerin et son odeur indiquèrent l’exaspération.) Les Prélasseurs continuent de le vouloir pour eux, les Cumuloformes prétendent toujours qu’on le leur a promis il y a bien longtemps. Chaque camp en est venu à mépriser cordialement l’autre, même si je suis prêt à jurer sur mon existence que nous les méprisons tous les deux six fois plus.

« Les Nageurs du N12, peut-être inspirés par l’enthousiasme avec lequel les Cumuloformes et les Prélasseurs s’adonnent à leur différend, ont propagé à tous vents une trace odorante concernant la vague possibilité qu’un jour, qui sait, si nous n’y voyons pas d’inconvénient, si personne d’autre n’a d’objection, ils pourraient prendre possession du Quatorzième.

« Les Vésiculaires du… (Utli s’interrompit un instant pour vérifier)… Onzième ont annoncé il y a quelque temps leur intention d’émigrer, en masse, sur Jiluence, qui se trouve quelque part dans la Pincée de Kuertile et qui serait d’après eux une de leurs planètes ancestrales. Mais c’était il y a déjà quelques vingtaines de jours, et nous n’en avons plus entendu parler depuis. Probablement un caprice passager. Ou de l’art. Ils font une certaine confusion entre les termes. Nous aussi, ils nous plongent dans la confusion. C’est peut-être délibéré. Il est possible que cela vienne d’une trop longue association avec les Octes, qui sont particulièrement adeptes de la pensée latérale mais qui semblent incapables de s’exprimer autrement que latéralement. S’il y avait un concours de l’espèce galactique la moins traduisible, les Octes l’emporteraient à chaque cycle. Évidemment, leur discours de remerciement serait un charabia incompréhensible. Quoi d’autre encore ?

Un instant, l’attitude d’Utli dénota un mélange d’amusement et de résignation, pour revenir aussitôt à l’exaspération teintée d’agacement.

— Ah, oui, poursuivit-il, en parlant des Octes, qui se font appeler les Héritiers… Ils ont trouvé le moyen de se mettre à dos les Aultridias – dont la réputation n’est plus à faire, etc. – par je ne sais quelle machination tordue. Nous avons écouté leurs doléances avant de partir, mais toute cette affaire paraît lamentablement banale. Des guerres tribales entre indigènes sur des niveaux dépotoirs. Il est fort possible que les Octes s’y soient immiscés. Pour mon malheur, je dirige le seul monde où les Octes locaux soient incapables de laisser les gens en paix. Mais comme ils ne semblent pas avoir transféré de technologie à leurs protégés barbares en question, nous n’avons pas de prétexte pour intervenir dans l’immédiat. C’est indiciblement agaçant. Ils – je veux parler des Octes et de ces horribles grouilloformes – ont refusé d’écouter nos propositions initiales de médiation, et pour parler franchement, nous étions trop occupé à nos préparatifs de départ pour avoir la patience d’insister. Une tempête dans un sac d’œufs. Si cela vous dit de renifler un peu autour de ce problème, sentez-vous libre de le faire. Ils pourraient vous écouter. Mais j’insiste sur le « pourraient ». Tenez-vous prête à déployer l’éventail complet de vos tendances masochistes.

La directrice générale s’autorisa une onde d’amusement à travers le corps.

— Eh bien, donc. Sursamen va vous manquer ?

— Comme un membre en moins, acquiesça le Grand Zamerin. (Il pointa ses tiges oculaires vers le hublot. Ils contemplèrent tous deux la planète un long moment, puis il dit :) Et vous ? Vous et votre famille, groupe, je ne sais – ils se portent bien ?

— Tous vont bien.

— Et vous comptez rester longtemps ici ?

— Aussi longtemps que je le pourrai sans trop perturber notre ambassade, répondit la directrice générale. Je passe mon temps à leur dire que j’ai simplement plaisir à visiter Sursamen, mais je crois qu’ils me soupçonnent d’avoir un but caché, et leur hypothèse favorite est que je cherche quelque chose à leur reprocher dans leur conduite. (Elle afficha de l’amusement, puis une attitude plus officielle.) C’est une simple visite de courtoisie, Utli, rien de plus. Mais c’est un fait que je chercherai tous les prétextes possibles pour prolonger ma visite au-delà du strict minimum, rien que pour le plaisir d’être dans cet endroit merveilleux.

— Nous pourrions être persuadés de lui reconnaître une certaine beauté tavelée et profondément enfouie, reconnut Utli en émettant un petit nuage parfumé indiquant une affection retenue.

La Directrice Générale morthanvelde Shoum, enfant-libre de Meast, nid de Zuevelous, domaine de T’leish, de Gavantille Prime, Plyir, regarda ce monde immense, sombre et encore un peu mystérieux qui emplissait la vue depuis le terminal de transit.

Sursamen était un Monde Gigogne.

Monde Gigogne. Encore maintenant, ce simple mot la faisait frissonner au plus profond de son être.

« Sursamen – un Monde Gigogne Arithmétique en orbite autour de l’étoile Mésériphine dans l’Épine Hulienne Tertiaire. » Elle pouvait encore voir les glyphes onduler à la surface de son tapis d’instruction à l’école.

Elle avait travaillé dur pour se trouver ici. Elle avait consacré sa vie – par l’étude, l’application, la diligence et une dose non négligeable de psychologie appliquée – à faire en sorte que Sursamen devienne un jour une part importante de son existence. En un sens, n’importe quel Monde Gigogne aurait fait l’affaire, mais c’était celui-ci qui avait été à l’origine de son enchantement, et il représentait pour elle beaucoup plus que le monde en soi. Par une certaine ironie des choses, la force même de sa vocation lui avait fait dépasser son but ; ses ambitions l’avaient menée trop loin, si bien qu’elle avait maintenant sous sa responsabilité les intérêts morthanveldes dans l’ensemble de ce long fleuve d’étoiles qu’on appelle l’Épine Hulienne Tertiaire, et non pas simplement dans le système solaire de Mésériphine qui contenait cette merveille énigmatique qu’était Sursamen. Le résultat était qu’elle passait ici beaucoup moins de temps qu’elle ne l’aurait souhaité.

La faible lueur verdâtre du Cratère de Gazan-g’ya éclairait son corps et celui du Grand Zamerin, une douce lumière qui gagnait lentement en intensité à mesure que Sursamen présentait une plus grande partie de ce vaste cratère aux rayons de l’étoile Mésériphine.

Sursamen collectionnait les adjectifs comme les planètes ordinaires collectionnent des lunes. Elle était Arithmétique, elle était Tavelée, elle était Disputée, elle était Multiplement Habitée, et elle était Divinisée.

Les Mondes Gigognes eux-mêmes avaient accumulé toute une variété de noms au fil des âges : Mondes-Boucliers, Mondes Creux, Mondes-Machines, Mondes du Voile. Mondes-Massacres.

Les Mondes Gigognes avaient été construits par une espèce appelée les Involucrae, ou encore le Voile, près d’un milliard d’années auparavant. Tous étaient en orbite autour d’étoiles stables de la série principale, à des distances variables selon la configuration des autres planètes naturelles du système, mais généralement entre deux cents et cinq cents millions de kilomètres. Inutilisés depuis longtemps et laissés à l’abandon, ils s’étaient progressivement écartés de leur position allouée à l’origine, ainsi que leurs étoiles. Il y avait eu au départ quelque quatre mille Mondes Gigognes. On pensait généralement que le nombre exact était 4 096, puisque c’était une puissance de deux et par conséquent – de l’avis général, mais pas unanime –, ce qui se rapprochait le plus d’un chiffre rond. Mais personne n’en était sûr. On ne pouvait pas interroger les constructeurs, les Involucrae, car ils avaient disparu moins d’un million d’années après avoir terminé leur dernier Monde Gigogne.

Ces planètes artificielles colossales avaient été espacées de façon régulière à la périphérie de la Galaxie, formant ainsi un filet pointillé entourant le grand tourbillon d’étoiles. Depuis lors, près d’un milliard d’années de déplacement gravitationnel les avait dispersées dans un désordre apparent ; certaines s’étaient retrouvées éjectées de la Galaxie tandis que d’autres avaient rejoint le centre, où quelques-unes étaient restées et d’autres étaient reparties, parfois pour être avalées par des trous noirs. Mais en se servant d’une bonne carte stellaire dynamique, on pouvait entrer les positions de celles qui existaient encore et remonter huit cents millions d’années en arrière pour voir où tout avait commencé.

Ce nombre de quatre mille et quelques était maintenant réduit à un peu plus de douze cents, principalement parce qu’une espèce appelée les Ilnes avait consacré quelques millions d’années à détruire tous les Mondes Gigognes qu’elle pouvait trouver, et personne n’avait voulu – ou pu – les en empêcher. Quant à savoir précisément pourquoi, personne n’en était certain, et là encore, les Ilnes n’étaient plus là pour le dire. Eux aussi avaient disparu de la scène galactique, laissant derrière eux pour seul monument durable une série d’immenses nuages de débris dispersés à travers la Galaxie, et également – là où leur dévastation n’avait pas été complète – des Mondes Gigognes brisés et effondrés, des carcasses comprimées et recroquevillées.

Les Mondes Gigognes étaient essentiellement creux. Chacun possédait un noyau métallique solide de quatorze cents kilomètres de diamètre. Autour de ce noyau étaient disposées une succession d’enveloppes sphériques concentriques soutenues par plus d’un million de tours massives, légèrement plus étroites au sommet qu’à la base mais ne mesurant jamais moins de quatorze cents mètres de diamètre. L’enveloppe externe constituait la Surface. Même leur matériau était resté une énigme – en tout cas, pour nombre de civilisations Impliquées – pendant près de cinq cents millions d’années, jusqu’à ce qu’on finisse par en comprendre toutes les propriétés. Mais dès le début, il avait été évident qu’il avait une résistance immense, et qu’il était imperméable à toute forme de radiation.

Dans un Monde Gigogne Arithmétique, les niveaux étaient régulièrement espacés avec un intervalle de quatorze cents kilomètres. Les Mondes Gigognes Exponentiels ou Incrémentaux avaient davantage de niveaux près du noyau et de moins en moins en s’en éloignant, la distance entre niveaux s’accroissant selon un ratio logarithmique parmi un nombre limité de valeurs possibles. Les Mondes Gigognes Arithmétiques possédaient systématiquement quinze surfaces intérieures et mesuraient quarante-cinq mille kilomètres de diamètre extérieur. Les Mondes Gigognes Incrémentaux, qui représentaient quelque douze pour cent des survivants, étaient plus variés. La catégorie la plus imposante mesurait presque quatre-vingt mille kilomètres.

Ces planètes avaient été des machines. En fait, elles avaient toutes fait partie d’un même immense mécanisme. Leurs parties creuses avaient été remplies, ou peut-être avaient-elles été sur le point de l’être (encore une fois, personne ne pouvait être certain que l’opération avait été réalisée), d’une sorte de superfluide transformant chacune d’elles en un projecteur de champ colossal, dans le but d’établir un champ de force ou un bouclier autour de la Galaxie entière.

Quant à savoir pourquoi cela avait été jugé nécessaire, ou même souhaitable, il n’y avait aucune réponse, bien que la question ait occupé les savants et les experts pendant des millions d’années.

Étant donné que les bâtisseurs d’origine étaient partis, que ceux qui avaient attaqué les mondes semblaient eux aussi avoir disparu pour toujours, et que le fameux superfluide était également absent, laissant ces vastes espaces internes reliés par les Tours de support – elles-mêmes creuses, bien que contenant des armatures de renforcement structurel et percées de portails de différentes tailles permettant d’accéder à chacun des niveaux –, il n’avait pas fallu longtemps à tout un assortiment d’espèces entreprenantes pour comprendre qu’un Monde Gigogne abandonné constituerait un vaste habitat préfabriqué et quasiment invulnérable, moyennant quelques modifications mineures.

Des gaz, des fluides – particulièrement de l’eau – et des solides pouvaient être pompés ou transportés pour remplir tout ou partie des espaces entre les niveaux, et des « étoiles » intérieures artificielles pouvaient être accrochées au plafond de chaque niveau, telles de gigantesques lampes. Diverses espèces aventureuses entreprirent d’explorer les Mondes Gigognes les plus proches d’elles, et se heurtèrent presque aussitôt au problème qui allait profondément contrarier et retarder leur aménagement pendant les quelques millions d’années suivantes, et même, par intermittence, au-delà : les Mondes Gigognes pouvaient être mortels.

On ne savait toujours pas vraiment à ce jour si les mécanismes de défense qui tuaient les explorateurs et détruisaient leurs vaisseaux avaient été laissés derrière eux par les bâtisseurs d’origine, ou bien par ceux qui semblaient avoir consacré leur existence à détruire ces gigantesques artefacts. Mais que ce soit le Voile ou les Ilnes – ou même les deux, comme on commençait à le penser généralement – qui aient légué ce mortel héritage, le principal facteur limitant l’utilisation des Mondes Gigognes comme habitat était simplement la difficulté de les rendre sûrs.

Beaucoup de gens étaient morts pour développer les techniques permettant de sécuriser un Monde Gigogne, et les mêmes leçons devaient être réapprises par chaque civilisation concurrente, car le pouvoir et l’influence dont bénéficiait un groupe capable d’exploiter avec succès un Monde Gigogne étaient tels que ces techniques restaient des secrets jalousement gardés. Il avait fallu qu’une civilisation Altruiste – exaspérée et horrifiée par un tel égoïsme et de telles pertes d’existences – intervienne, développe certaines des techniques, en vole d’autres, et les diffuse enfin à tout le monde.

Bien sûr, un comportement aussi peu sportif lui avait valu d’être copieusement honnie. Mais ses actions et la position qu’elle avait adoptée avaient été approuvées, et même récompensées, par différentes institutions galactiques, et la Culture, bien que très distante dans le temps de ces créatures Sublimées depuis des millions d’années, avait toujours affirmé posséder une sorte de parenté par l’exemple avec elles.

Les civilisations spécialisées dans cette activité de sécurisation des Mondes Gigognes, et qui devenaient de fait propriétaires de leur intérieur, prirent le nom de Pourvoyeurs. Le cas de Sursamen était inhabituel, car deux espèces – les Octes (qui affirmaient descendre en droite ligne des Involucrae depuis longtemps disparus, et qui s’étaient donc attribué le nom d’Héritiers) et les Aultridias (une espèce dont la provenance pourrait être qualifiée de mal perçue) – y étaient arrivées en même temps et s’étaient mises au travail. L’autre aspect inhabituel était qu’aucune des deux espèces n’avait réussi à l’emporter clairement dans le conflit qui avait suivi, le seul point positif étant que ce différend était resté limité à Sursamen. La situation dans ce monde avait fini par se stabiliser quand les deux espèces s’étaient vu accorder la garde conjointe des Tours d’accès de Sursamen par le Conseil Général Galactique, tout récemment créé. Il est important toutefois de noter qu’aucune clause n’interdisait à l’une ou l’autre de chercher à accroître son influence à l’avenir.

Les Nariscenes avaient obtenu l’exclusivité des droits d’habitation de la Surface ainsi que la direction globale de la planète, à laquelle ils prétendaient depuis longtemps, même s’ils devaient déférer en dernier ressort aux Morthanveldes car le système et la planète se trouvaient dans leur sphère d’influence.

Ainsi donc, Sursamen avait été colonisée, d’où son statut d’Habitée, et par une variété d’espèces, ce qui lui valait le préfixe de « Multiplement ». Les orifices percés dans les Tours de support, qui auraient pu laisser s’écouler des liquides ou des gaz dans les niveaux inférieurs, avaient été bouchés ; certains de façon définitive, et d’autres à l’aide de systèmes de sas permettant d’entrer et de sortir en toute sécurité, tandis que des mécanismes de transport avaient été installés à l’intérieur des immenses Tours creuses pour permettre de se déplacer entre les différents niveaux et d’accéder à la Surface. Au fil des millions d’années d’occupation, toutes sortes de matériaux solides, liquides et gazeux avaient été mis en place. En parallèle, des créatures, espèces, groupes d’espèces et écosystèmes avaient été importés par les Octes et les Aultridias, généralement moyennant paiement sous une forme ou sous une autre, parfois à la demande des gens concernés, mais le plus souvent à la demande d’autres parties intéressées.

On avait mis en place des étoiles intérieures. Il s’agissait de sources d’énergie thermonucléaire, de minuscules soleils, mais qui présentaient la particularité bien commode d’être antigravifiques, de sorte qu’elles restaient collées au plafond de chaque niveau. Elles se répartissaient entre Fixétoiles et Roulétoiles, les premières restant immobiles tandis que les autres se déplaçaient dans le ciel en suivant des trajectoires prédéterminées et à des cadences régulières, quoique parfois complexes lorsqu’il y en avait plusieurs à des périodicités différentes.

Les gens continuaient de mourir. Longtemps après qu’un Monde Gigogne eut été apparemment désarmé et sécurisé, des systèmes de défense cachés pouvaient se réactiver des siècles, des millénaires, voire des déciéons plus tard, provoquant des gigamorts, des téramorts, des civicides et des quasi-extinctions d’espèces lorsque des étoiles intérieures tombaient, des niveaux entiers étaient inondés ou au contraire asséchés – souvent avec pour résultat que des océans rencontraient des étoiles intérieures, provoquant des nuages de plasma et de vapeur surchauffée –, des atmosphères étaient infestées de pathogènes inconnus à large spectre ou inexorablement transformées en environnements empoisonnés par des mécanismes invisibles que personne ne pouvait arrêter, ou encore d’intenses rayonnements gamma émanant du sol ou du plafond inondaient certains niveaux, ou le monde tout entier.

C’étaient ces événements qui leur valaient le nom de Mondes-Massacres. Au moment où la Directrice Générale Shoum observait la face obscure et tachetée de couleurs de Sursamen, cela faisait près de quatre millions d’années qu’aucune hécatombe n’avait été provoquée par un Monde Gigogne, de sorte que le terme « Monde-Massacre » était depuis longtemps sorti de l’usage, sauf parmi les cultures dotées d’une mémoire exceptionnelle.

Néanmoins, à une échelle suffisamment vaste, on pouvait apprécier le degré de nocivité d’un type d’habitat au pourcentage devenu au fil du temps une Planète des Morts des Dra’Azon. Les Planètes des Morts étaient des sortes de monuments à l’accès interdit préservant la mémoire des carnages et destructions à l’échelle planétaire, entretenus – et généralement parfaitement conservés dans leur état immédiatement postérieur à la catastrophe – par les Dra’Azon, une des civilisations Aînées semi-Sublimées les plus retirées de la communauté galactique, mais dont les attributs et les pouvoirs étaient suffisamment proches de ceux d’un dieu pour que la distinction de « semi » n’ait pas vraiment d’importance. Sur les quelque quatre mille Mondes Gigognes d’origine, et les mille trois cent trente-deux restants – dont cent dix effondrés –, quatre-vingt-six étaient des Planètes des Morts. On s’accordait généralement à considérer ce pourcentage comme inquiétant.

Même certains des Mondes Gigognes échappant à l’intérêt morbide des Dra’Azon faisaient l’objet d’une attention semi-divine. Il y avait une espèce nommée les Aéronataures Tensiles Xinthiens, un peuple de Mondes Aériens immensément ancien qui avait possédé autrefois, d’après les légendes, d’immenses pouvoirs. Ils constituaient la deuxième ou troisième espèce aérienne la plus grande de la Galaxie et, pour des raisons connues d’eux seuls, il arrivait que l’un d’eux vienne s’installer en solitaire dans le noyau-machine d’un Monde Gigogne. Bien qu’autrefois répandue et banale, l’espèce xinthienne était devenue rare et considérée comme Développementalement, Intrinsèquement, Intégralement et Définitivement Sénile – dans le jargon impitoyable de la taxinomie galactique – par ceux qui s’intéressaient encore à de tels anachronismes.

Aussi loin que l’on se souvienne, presque tous les Xinthiens étaient restés groupés en un seul endroit, un collier de Mondes Aériens autour de l’étoile Chone, dans le Petit Embrun Yattlien. On n’en connaissait qu’une douzaine ailleurs, et apparemment tous étaient installés dans le noyau d’un Monde Gigogne. On pensait que ces Xinthiens avaient été bannis suite à une transgression quelconque, ou qu’il s’agissait d’ermites en quête de solitude. Dans ce domaine aussi, on ne pouvait que supputer, car même si les Xinthiens, contrairement au Voile ou aux Ilnes, étaient encore là pour qu’on leur pose la question, ils refusaient obstinément de communiquer, à un degré qui dépassait même les normes des cultures Taciturnes de la Galaxie.

D’où la partie « Divinisée » de la description complète de Sursamen : il y avait un Aéronataure Tensile Xinthien dans son noyau, et certains habitants l’appelaient le DieuMonde.

Dans chacun de ces mondes immenses, toutes les enveloppes internes – et parfois celle de l’extérieur – étaient ornées d’énormes ailettes, spires, renflements et cuvettes, constitués du même matériau que les enveloppes elles-mêmes ainsi que les Tours de support. Lorsque de telles structures étaient présentes à la Surface d’un Monde Gigogne, les cuvettes avaient généralement été remplies de mélanges d’atmosphères, océans et/ou terre appropriés à l’une ou à plusieurs des espèces Impliquées. Les moins profondes de ces cuvettes – parfois appelées, non sans une certaine perversion, Cratères – étaient recouvertes d’un toit, ce qui n’était en général pas le cas pour les plus profondes.

Sursamen était un exemple de ce genre de Monde Gigogne Tavelé. La plus grande partie de sa Surface était lisse, gris foncé et poussiéreuse – le résultat de près d’un milliard d’années à recevoir sur cette peau adamantine et inflexible le choc de corps systémiques et galactiques de diverses compositions, tailles et vitesses relatives. À peu près quinze pour cent de sa superficie était tachetée de ces cuvettes, certaines recouvertes et d’autres à ciel ouvert, que les gens appelaient des Cratères, et c’était la lumière bleu-vert réfléchie par l’un d’eux, le Cratère de Gazan-g’ya, qui brillait à travers le hublot du terminal de transit et éclairait d’une douce lueur les corps du Grand Zamerin et de la directrice générale.

— Vous êtes toujours contente d’arriver, de voir Sursamen ou n’importe quel autre Monde Gigogne, n’est-ce pas ? demanda Utli à Shoum.

— Naturellement, dit-elle en se tournant légèrement vers lui.

— Alors qu’en ce qui me concerne, personnellement, dit le Grand Zamerin en s’écartant de la vue, c’est uniquement le devoir qui me retient ici. Je suis toujours soulagé quand je tourne le dos à cet endroit. (Un minuscule gazouillis se fit entendre, et l’une de ses tiges oculaires se plia brièvement pour regarder ce qui semblait être une pierre précieuse incrustée dans son thorax.) Ce qui, à ce que l’on nous informe, devrait se produire très bientôt. Notre vaisseau est prêt.

Le torque de communication de Shoum se réveilla pour lui dire la même chose, puis retourna à son statut d’intimité.

— Soulagé ? Vraiment ? demanda la directrice générale tandis qu’ils s’en retournaient à travers l’écheveau de fibres pour rejoindre leurs escortes respectives et les chutes d’embarquement donnant accès aux vaisseaux.

— Nous ne comprendrons jamais pourquoi vous-même ne l’êtes pas, Shoum. Ces mondes sont encore des endroits dangereux.

— Cela fait très longtemps qu’un Monde Gigogne s’en est pris à ses habitants, Utli.

— Ah, mais pourtant, chère directrice générale, les intervalles…

Le Grand Zamerin faisait allusion à la répartition dans le temps des morts massives causées par les Mondes Gigognes. Lorsqu’on en traçait le diagramme, il semblait indiquer une lente atténuation progressive de ces meurtres titanesques, mais pas encore leur arrêt définitif. L’extrapolation des attaques tendait vers zéro, mais en suivant une courbe qui laissait entrevoir qu’il pourrait y en avoir encore une ou deux, probablement dans les quelques milliers d’années à venir. Bien sûr, dans la mesure où c’était vraiment ainsi que ces choses fonctionnaient. La menace apparente de cataclysmes futurs pouvait résulter d’une simple coïncidence, rien de plus.

— Eh bien, alors, dit Shoum, pour parler franchement, il ne nous reste plus qu’à espérer que cela ne se produise pas pendant que nous sommes en poste, ou que, si cela doit arriver, ce ne soit pas sur Sursamen.

— Ce n’est qu’une question de temps, lui dit tristement le Grand Zamerin. Ces choses se mettent à tuer, ou bien elles disparaissent. Et nul ne sait pourquoi.

— Et pourtant, Utli, dit la directrice générale en affichant une marque d’espièglerie, ne trouvez-vous pas qu’il y a quelque chose de romanesque – presque rassurant, même – dans le fait qu’il subsiste de tels mystères impondérables dans notre époque si cultivée et raffinée ?

— Non, répondit catégoriquement le Grand Zamerin en émettant une odeur appelée Doutant de la santé mentale de mon compagnon, avec à peine une trace d’humour.

— Pas même dans l’abstrait ?

— Pas même dans l’abstrait.

— Bon, très bien, alors. Mais je ne m’inquiéterais pas trop, si j’étais vous, dit Shoum alors qu’ils approchaient de leurs assistants. J’ai le sentiment que Sursamen sera encore là quand vous reviendrez.

— Vous pensez que sa disparition est improbable ? demanda Utli en exprimant maintenant une gravité feinte.

— Les chances sont astronomiquement faibles, répondit-elle.

Mais sa plaisanterie se perdit dans la traduction.

— Certes. Et bien sûr. Mais il nous a frappé que l’existence que nous menons est si merveilleuse et agréable qu’un désastre de proportions égales mais contraires reste toujours une menace. Plus on construit haut sa Tour, plus elle devient une cible tentante pour le destin.

— Ma foi, vous ne serez pas dans votre Tour pendant l’année qui vient. Je vous souhaite un agréable retour chez vous, et je me réjouis d’avance de vous revoir, Grand Zamerin.

— Et moi de même, Directrice Générale, répondit Utaltifuhl.

De ses mandibules, il lui mordilla l’extrémité de l’épine manipulatoire qu’elle lui tendait, avec le plus profond respect et la plus grande délicatesse. Shoum rougit en conséquence.

Ils avaient maintenant rejoint leurs escortes personnelles devant une fenêtre géante qui donnait sur l’autre côté du terminal, où une petite flotte de vaisseaux était amarrée. Utaltifuhl regarda son astronef et émit un parfum de doute.

— Hmm, fit-il. Les voyages interstellaires ne sont pas dénués de risques, eux non plus.

Trames
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